Proposition de loi française qui renforce l'équilibre entre constructeurs et distributeurs automobiles: la voie à suivre
par Patrick Kileste et Manon De Neubourg
23-02-2023

Proposition de loi française qui renforce l'équilibre entre constructeurs et distributeurs automobiles: la voie à suivre

Le 29 novembre dernier, les députés français ont déposé une proposition de loi visant à équilibrer les relations entre constructeurs et distributeurs automobiles.

Contexte actuel 

De nouveaux modèles de distribution ont en effet commencé à voir le jour dans le secteur automobile sous l’impulsion des constructeurs qui se tournent peu à peu vers les contrats d’agence ou les contrats de commission. 

Dans l’exposé des motifs, les députés exposent qu’il est à craindre que les constructeurs automobiles profitent d’un vide législatif national pour prendre progressivement la main sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la mobilité.

En effet, « ce mouvement provoque une inflation du coût d’usage des véhicules pour les consommateurs et un risque sévère sur l’emploi chez les concessionnaires/ réparateurs, donc une réduction du maillage du réseau et des services de proximité ».

Un nombre important de constructeurs automobiles ont entrepris de remplacer les contrats de distribution sélective ou exclusive de leur réseau par des contrats d’agence ou de commission.

 « Dans le cadre de ces contrats, ils sont tenus, d’une part en vertu des règles de concurrence, d’assumer la charge de tous les investissements nécessaires à la commercialisation des véhicules neufs de leur marque et, d’autre part, conformément aux statuts des agents commerciaux, de verser, une indemnité compensatrice du préjudice subi par l’agent du seul fait de la cessation du contrat d’agence, sauf faute grave de ce dernier ou cession de son contrat ». Il est exposé qu’il en résulte dès lors une distorsion de situation entre des entreprises opérant sur le marché de la distribution des véhicules neufs.

Objectifs visés par la proposition de loi

Tout d’abord, nous remarquons que la proposition semble viser tous les modes de distribution automobile, ce qui inclut notamment le contrat d’agence ou de commission.

Cette proposition de loi vise à :

  • Préciser que les investissements exigés des distributeurs automobiles doivent être raisonnables au regard des perspectives économique ;

 

  • Donner la liberté aux distributeurs automobiles de céder leurs entreprises en réservant aux constructeurs ou importateurs un droit de préférence, assorti le cas échéant d’une faculté de substitution, leur permettant de conserver le contrôle de leur réseau ;

 

  • Fixer des indemnisations en cas de cessation du contrat en prenant notamment en compte les investissements réalisés par les distributeurs ainsi que la clientèle qu’ils ont attachée localement à la marque. 

Focus sur les indemnités en fin de contrat

L’article L. 351-4 de la proposition de loi régit la question des indemnités accordées par le constructeur au distributeur en fin de contrat, en dehors de la faute grave de ce dernier.

Il est ainsi prévu qu’une indemnité compensatrice du préjudice subi par le distributeur ou le réparateur du fait de la cessation contractuelle est due. Cette indemnité recouvre trois postes distincts :

« 1° La valeur des éléments incorporels liés à la clientèle attachée localement à la marque du distributeur ;

2° La valeur non amortie des investissements engagés par le distributeur ou le réparateur, à la demande ou avec l’accord du fournisseur notamment pour satisfaire à ses conditions d’agrément ;

3° La reprise des stocks ».

Comparaison avec la loi belge

Notons tout d’abord que la proposition de loi française vise exclusivement le secteur automobile tandis que les articles X. 35 et suivants de notre Code de droit économique belge sont applicables aux concessions peu importe le secteur dans lequel elles interviennent.

En outre, si cette proposition de loi parait très semblable à ce que prévoit la loi belge, elle semble toutefois avoir un champ d’application plus large.

En effet, cette proposition de loi vise, d’une part, à protéger tant les distributeurs que les réparateurs, ce qui n’est pas le cas du droit belge qui ne protège que les concessionnaires qui sont par définition chargés uniquement de la vente. D’autre part, elle ne fait aucune distinction, pour l’octroi des indemnités en fin de contrat, entre les contrats à durée déterminée et ceux conclus pour une durée indéterminée tandis que la loi belge ne permet d’octroyer de telles indemnités qu’aux concessions accordées pour durée indéterminée. 

Par ailleurs, la proposition de loi française recouvre trois postes distincts mais qui ne sont pas tous identiques à ceux couverts par la loi belge.

Tant la proposition de loi française que la loi belge couvrent l’indemnité de clientèle et l’indemnité pour les frais relatifs aux investissements engagés par le distributeur.

Cependant, à la différence de la loi belge, la proposition de loi française vise expressément la reprise des stocks tandis que cette question n’est pas régie directement dans la loi belge (même si en pratique, la jurisprudence tend à admettre qu’en l’absence d’une clause régissant cette question au sein du contrat, le constructeur a l’obligation de reprendre le stock).

Enfin, la loi belge offre une indemnité complémentaire visant à couvrir les indemnités de dédits que le concessionnaire doit au personnel qu’il aura dû licencier.

Transfert des données

La question du transfert des données est une problématique qui ressurgit particulièrement dans le cadre de la transition entre les différents modèles de contrats de distribution.

La proposition de loi prévoit que « le transfert des données clients et prospects, qui constituent un élément essentiel du fonds de commerce des distributeurs, ne peut être imposé par le constructeur sans cadre juridique préalable, et sans prévoir une contrepartie économique pour les distributeurs ».

La protection des distributeurs automobiles envisagée dans la proposition de loi française comble le vide législatif qui existait jusqu’à présent et nous semble parfaitement adaptée aux évolutions que le secteur automobile a subi ces dernières années.

Les autres Etats-membres de l’Union européenne ne pourront que vivement s’en inspirer.

On relèvera toutefois que ce projet, dans sa rédaction actuelle, ne semble pas protéger les contrats de commissionnaire. Il semble qu’il s’agissait d’un vide législatif dans lesquelles certaines marques n’hésitent pas à vouloir s’engouffrer et qui leur permettrait de conclure des contrats qui ne seraient assortis que de délais de préavis très courts et ne prévoirait aucune indemnisation du commissionnaire en fin de contrat. Gageons que cette initiative française sera adaptée en ce sens et sera suivie dans d’autres pays. L’Italie a d’ailleurs de son côté également adopté très récemment une législation spécifique pour le secteur automobile.