Nouveautés en droit français des obligations et conséquences en matière de franchise : comparaison avec le régime belge de la franchise
par Cécile Staudt
26-03-2017

Nouveautés en droit français des obligations et conséquences en matière de franchise : comparaison avec le régime belge de la franchise

Le droit français des obligations a récemment été remanié afin d’accorder une plus grande place à la bonne foi et de permettre un possible rééquilibrage de la convention entre parties. Cette réforme prend racine dans une Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Cette révision du droit commun français des contrats est née :

  • d’une part, de la nécessité de distinguer les contrats équilibrés, qui « impliquent des parties de puissance et de compétence comparables »[i], des contrats déséquilibrés, dans lesquels l’un des cocontractants est considéré comme partie faible au contrat, c’est-à-dire comme se trouvant dans un état de dépendance économique, technique ou sociale ;
  • d’autre part, de la volonté d’accorder une plus grande protection à cette partie faible au contrat, ce qui constitue l’un des trois axes de la réforme opérée par l’Ordonnance de 2016.

1) Obligation transversale : le devoir de loyauté 

L’article 1104 du Code civil français stipule aujourd’hui que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public ». Cette obligation régit l’ensemble du contrat, depuis ses pourparlers jusqu’à sa clôture.

En Belgique, une telle obligation de loyauté existe depuis bien longtemps, à travers l’article 1134, alinéa 3, du Code civil, qui stipule que « [les conventions] doivent être exécutées de bonne foi ».

Ce principe s’impose aux parties non seulement au stade de l’exécution du contrat, mais également au stade de sa conclusion[ii], même si l’article 1134 ne vise a priori que la phase d’exécution du contrat.

Ainsi, parmi les applications de ce principe, on retrouve :

  • Une obligation générale d’information précontractuelle[iii], qui impose à chacune des parties de fournir loyalement, à l’autre, les éléments permettant à son potentiel et futur partenaire d’évaluer le plus objectivement possible le risque commercial que présente l’opération concernée, en vue de lui permettre d’apprécier, en connaissance de cause, son opportunité[iv] ;
  • Un devoir de collaboration loyale à l’exécution du contrat, qui exprime la communauté d’intérêts fondamentale existant entre les cocontractants et l’esprit de collaboration entre ceux-ci ; un tel devoir de collaboration loyale requiert notamment que le créancier d’une obligation s’abstienne de tout acte ou toute omission pouvant avoir pour objet ou conséquence soit de priver l’autre partie des avantages normaux découlant du contrat, soit d’aggraver les charges en résultant, en rendant plus lourde ou plus onéreuse la situation du débiteur ;
  • Un devoir particulier de loyauté et de modération qui s’exerce à la fin du contrat, notamment en cas de résiliation unilatérale.

2) Phase précontractuelle

(a) Obligation d’information précontractuelle et obligation de transparence

Le Code civil français prévoit désormais explicitement une obligation d’information précontractuelle à charge des parties au contrat. L’article 1112-1 du Code civil est libellé comme suit :

« Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

L’obligation d’information précontractuelle doit donc être étendue à tous les éléments pouvant déterminer le consentement du futur partenaire [v]. L’article 1112-1 prévoit que de tels éléments sont ceux « qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ».

Il ajoute en outre que « ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation ». Ceci restreint le champ de l’obligation d’information précontractuelle aux exigences élémentaires de la loyauté contractuelle[vi].

Cette obligation générale complète donc les obligations résultant de la loi Doubin applicable à « toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité ».

En Belgique, une telle obligation d’information précontractuelle fut – outre l’application qui en est faite par le biais de l’article 1134 du Code civil – consacrée par la loi du 19 décembre 2005 relative à consacrée par la loi du 19 décembre 2005 relative à l’information précontractuelle dans les accords de partenariat commercial, aujourd’hui intégrée dans le Code de droit économique (Livre X, titre 2). Cette loi impose, avant la conclusion de tout « accord de partenariat commercial » (notion pouvant englober celle de contrat de franchise – à étudier au cas par cas[vii]), le respect de certaines obligations, telles que celle, pour le franchiseur, de fournir à son futur cocontractant un document d’information précontractuelle (ou DIP) reprenant un certain nombre de mentions obligatoires, et ce au moins un mois avant la conclusion éventuelle de l’accord.

(b) Création d’un vice de violence

Les articles 1142 et 1143 nouveaux du Code civil français traitent tous deux de la notion de « violence ».

L’article 1142 stipule en effet que « la violence est une cause de nullité, qu'elle ait été exercée par une partie ou par un tiers ». La sanction d’une telle violence est donc ainsi légalement prévue.

L’article 1143 précise, quant à lui, qu’il y a violence « lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

Le nouvel article 1143 semble donc rapprocher la notion de « violence », de celle d’« exploitation abusive d’un état de dépendance économique » insérée dans le Code de commerce français (voy. article L. 420).

(c) Définition de certaines notions

Le Code civil définit désormais certaines notions, toujours en vue de réduire les éventuelles faiblesses contractuelles existant en droit commun. Il définit notamment le contrat d’adhésion, en son article 1110, al. 2, comme étant « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ».

Il est admis, en France comme en Belgique, que le contrat de franchise rentre généralement dans le champ de cette définition et peut dès lors être qualifié de contrat d’adhésion[viii].

3) Phase contractuelle – exécution et contenu du contrat

(a) Equilibre contractuel (1171 CC)

L’Ordonnance de 2016 introduit également la notion de « déséquilibre significatif » à l’article 1171 du Code civil français, désormais libellé comme suit :

« (al.1er) Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

  (al. 2) L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation ».

Notons d’abord que l’article 1171 n’entend viser que les contrats d’adhésion, dont font généralement partie les contrats de franchise.

Cette intégration de la notion de déséquilibre est en réalité inspirée de l’article L. 132-1, 1° du Code de la consommation (régime des clauses abusives), qui indique que :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. (…)

Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa ».

Le Code de commerce fait lui-aussi référence à cette disposition, lorsqu’il prévoit que : « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (…) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (article L-442-6, I, 2° du Code de commerce).

Certains auteurs ont néanmoins regretté que le droit commun, constitué de règles générales, transpose une telle règle spéciale.

D’autres relativisent cependant le changement qu’opère la réforme, rappelant que cette disposition ne trouvera à s’appliquer qu’aux relations entre non-professionnels. S’il est vrai que les relations entre professionnels et consommateurs sont toujours régies par le Code de la consommation, tandis que les rapports entre professionnels relèvent du Code de commerce, rien n’empêche toutefois que de telles relations (semi-)professionnelles, régies donc par des règles spéciales, puissent bénéficier de l’application du nouveau droit commun des contrats.

La sanction du déséquilibre dans le Code civil est différente de celle prévue par le Code de commerce. Dans le premier cas, la clause sera réputée non-écrite alors que dans le second, la sanction se traduira par la mise en cause de la responsabilité de la partie à l’origine du déséquilibre. Le débiteur devrait pouvoir opter pour l’application de la sanction de droit commun (Code civil) si il estime qu’elle lui est plus favorable.

(b) Interprétation des contrats d’adhésion

Le nouvel article 1190 du Code civil français prévoit, en matière d’interprétation, que « dans le doute, le contrat d'adhésion [s’interprète] contre celui qui l'a proposé » (inspiration tirée de l’article L. 133-2, al. 2 Code de la consommation).

En droit belge, la jurisprudence a également tendance à interpréter les contrats d’adhésion contre le rédacteur.

En matière de contrats de franchise (pouvant, dans certains cas, être qualifiés de contrats d’adhésion), l’article X.32 du Code de droit économique peut également trouver à s’appliquer si le contrat est un contrat de « partenariat commercial ». Cet article prévoit qu’en cas de doute sur le sens d'une clause de l'accord de partenariat commercial ou d'une donnée du document d’information précontractuelle, c’est l’interprétation la plus favorable au franchisé qui prévaut. Cette disposition présente un caractère impératif, les parties ne pouvant donc y déroger dans leur contrat.

(c) Modification ou résiliation du contrat en cas de changement de circonstances imprévisible

L’article 1195 du Code civil français prévoit désormais la possibilité, pour les parties, de demander la modification ou la résiliation contrat en cas de modification de circonstances rendant l’exécution du contrat très onéreuse. En effet :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ».

Trois conditions légales doivent donc être remplies pour qu’une telle modification ou résiliation du contrat de franchise puisse s’opérer :

- Le changement de circonstances économiques doit avoir été imprévisible lors de la conclusion du contrat. On notera que l’interprétation que la jurisprudence fera de la notion de « changement de circonstances » pourra fortement impacter le sort du contrat ;

- Ce changement de circonstances doit avoir rendu l’exécution du contrat excessivement onéreuse ;

- La partie victime de ce changement ne doit pas avoir accepté d’en supporter le risque.

Cette disposition consacre donc en droit français la théorie de l’imprévision, qui n’est cependant toujours pas reconnue en droit privé belge et qui consiste à admettre qu'un contrat puisse être, soit modifié, soit résilié dans l’hypothèse où des circonstances inexistantes à la conclusion du contrat et totalement imprévisibles viendraient par la suite en bouleverser l'économie en alourdissant de manière considérable les obligations d'une des parties.

(d) Loi El Khomri

Depuis le 8 aout 2016, la loi El Khomri[ix] prévoit, dans les réseaux de franchise d’au moins 300 salariés en France, la création, par le franchiseur, d’une « instance de dialogue social commune à l’ensemble du réseau », si une organisation syndicale représentative le demande (article 64 de la loi).

Cette instance de dialogue social sera composée de représentants des salariés et des franchisés, et sera présidée par le franchiseur. Elle sera informée de tout ce qui pourrait affecter directement ou indirectement l’emploi au sein du réseau et devra, le cas échéant, émettre des « propositions de nature à améliorer [notamment] les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés dans l’ensemble du réseau ».

4) Fin du contrat et phase post-contractuelle

La loi Macron a inséré, depuis le 6 août 2016, deux nouvelles dispositions dans le Code de commerce français :

  • L’article L. 341-1, qui prévoit désormais que si le contrat de franchise est lié à d’autres contrats, une échéance commune doit être prévue ;
  • L’article L. 341-2, qui prévoit que toute clause ayant pour effet de restreindre la concurrence, après l’échéance ou la résiliation du contrat de franchise ou d’un contrat qui lui est lié conformément à l’article L. 341-1, doit remplir les conditions cumulatives suivantes :

    «  Elles concernent des biens et services en concurrence avec ceux qui font l'objet du contrat mentionné au I ;

    • Elles sont limitées aux terrains et locaux à partir desquels l'exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat mentionné au I ;

    • Elles sont indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat mentionné au I ;

    • Leur durée n'excède pas un an après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1 ».

Le texte français transpose ainsi celui du règlement européen d’exemption n° 330/2010 (art. 5), qui soumet une clause de non-concurrence post-contractuelle aux conditions suivantes :

  • Elle ne peut viser que des biens et services concurrents avec les biens et services contractuels ;

  • Elle est limitée aux locaux et aux terrains où le franchisé a exercé son activité pendant le contrat ;

  • Elle est indispensable à la protection d’un savoir-faire transféré par le fournisseur, et

  • Elle est limitée à un an à compter de l’expiration de l’accord.

En droit belge, sans préjudice des règles issues du droit de la concurrence, une clause de non-concurrence sera généralement considérée comme licite si elle est limitée dans le temps, dans l’espace et quant à son objet.

 

 

[i] F. Maume, « Réforme du droit des contrats et protection de la partie faible », disponible sur http://www.lepetitjuriste.fr/droit-civil/reforme-du-droit-des-contrats-et-protection-de-la-partie-faible/ , n° 2.

[ii] Sur cette question, voy. notamment H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, tome II, op. cit., n° 555 ; J. Van Ryn et X. Dieux, « La bonne foi dans le droit des obligations », J.T., 1991, pp. 289 et suiv.

[iii] F. Glansdorff, « L’information précontractuelle en droit commun. Règles applicables à tous les contrats », in Le droit des affaires en évolution. Que dire ou ne pas dire avant de conclure un contrat, Journée du juriste d’entreprise, 16 novembre 2006, Bruxelles, Bruylant, 2006.

[iv] L. Cornelis, « La responsabilité précontractuelle, conséquence éventuelle du processus précontractuel », R.G.D.C., 1990, pp. 391 et suiv. ; Mons 13 janvier 2003, J.L.M.B., 2004, p. 54 et note P. Kileste et C. Staudt, p. 67 ; O. Clevenbergh, « La place de l’étude de marché et du plan prévisionnel au sein de l’information précontractuelle à fournir au franchisé en vertu de la loi du 19 décembre 2005 et du droit commun. La sanction du caractère inexact ou incomplet des informations communiquées », R.D.C., 2008/2, pp. 189 et suiv. et réf. citées.

[v] H. Bensoussan, « Réforme du droit des contrats, loi Macron, loi El Khomri : quels changements pour vos contrats de franchise ? », p. 2.

[vi] F. Maume, « Réforme du droit des contrats et protection de la partie faible », op. cit., n° 3.

[vii] Sur le champ d’application de la loi, voy. notamment P. Kileste et C. Staudt, Contrat de franchise, R.P.D.B, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 62 et suiv.

[viii] R. Ribeiro-Oertel, « La franchise », in Le contrat international de distribution, Bruxelles, Bruylant, 2016, pp. 91 à 116.

[ix] Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.