Contrats de franchise et législation sur les baux commerciaux
par Cécile Staudt
27-01-2020

Contrats de franchise et législation sur les baux commerciaux

Contrats de franchise et législation sur les baux commerciaux

Par décret programme du 17 juillet 2018, applicable depuis le 18 octobre 2018, les dispositions du code civil applicables aux baux commerciaux en région wallonne ont été modifiées.

Le champ d’application de cette loi sur les baux commerciaux (article 1 de la loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux, reprise au livre 3, titre 8, chapitre 2, section 2bis du code civil) est complété par deux paragraphes :

  • « La présente section s’applique également intégralement aux baux conclus dans le cadre d’un contrat de partenariat commercial tel que défini à l’article I.11,2è du code de droit économique du 28 février 2013 ».
  • « Toute clause destinant exclusivement les lieux loués à l’exploitation d’une enseigne déterminée est réputée non écrite ».

Si l’on s’en réfère aux travaux préparatoires, cette modification législative semble viser à assurer une meilleure protection aux franchisés, locataires d’un immeuble, lorsque le franchiseur en est le également bailleur.

  • D’une part, le législateur a voulu répondre à une certaine jurisprudence selon laquelle, dans certaines circonstances, le contrat de bail conclu serait l’accessoire du contrat de franchise de telle sorte que la rupture du contrat de franchise entraînerait automatiquement la rupture du contrat de bail, sans préavis et sans indemnité pour le franchisé locataire, voire, au contraire avec la possibilité pour le propriétaire de réclamer des indemnités au franchisé locataire.

L’objectif du législateur est donc que, lorsque le contrat de franchise s’arrête, le contrat de bail accessoire n’en soit pas affecté de telle sorte que si le franchiseur bailleur souhaite néanmoins rompre le contrat de bail en même temps que le contrat de franchise, il soit tenu de respecter les dispositions de la loi sur les baux commerciaux.

Rappelons, sans entrer dans les détails, que la législation sur les baux commerciaux prévoit différentes règles qui protègent les locataires, notamment en ce qui concerne la durée du contrat de bail, le droit d’obtenir le renouvellement du bail par préférence à toute autre personne pour continuer le même commerce (articles 13 et suivants de la loi) ou encore, le paiement, dans certaines conditions, d’une « indemnité d’éviction » par le bailleur au locataire (articles 25 et suivants).

  • D’autre part, le législateur a voulu remédier à la situation dans laquelle le contrat de bail limite la destination des lieux loués à l’exploitation d’une enseigne spécifique, en l’occurrence, celle du franchiseur. Dans ce cas, à la fin de son contrat de franchise, le franchisé ne pourrait donc plus exercer d’activités dans  les locaux loués.

L’objectif  de la loi est donc de permettre au franchisé de continuer à exploiter son local commercial, même si le contrat de franchise est rompu.

Si ces objectifs sont louables, on peut se demander si les modifications de la loi qui ont été réalisées sont de nature à les atteindre.

En ce qui concerne la précision selon laquelle la loi s’applique à tous les baux conclus dans le cadre d’un contrat de partenariat commercial, on peut en préambule s’interroger sur sa nécessité. La loi sur les baux commerciaux est en effet une loi impérative qui trouve en principe à s’appliquer à tout « bail commercial » quel que soit le contexte dans lequel il est conclu.

Rappeler ce principe de base ne me paraît pas nécessairement suffisant ni adapté pour contrer la jurisprudence évoquée ci-dessus, qui a considéré que le contrat de bail était un accessoire du contrat de franchise.  

En effet, si, conformément à l’article 1762 bis du code civil, « la clause résolutoire expresse est réputée non écrite » en matière de contrat de bail, il n’en va pas de même des conditions résolutoires qui ne sont pas visées par cet article.

Pour rappel, la clause résolutoire énonce certains comportements fautifs et permet à un créancier de solliciter la résolution d’un contrat aux torts de son débiteur en cas de manquements de celui-ci. Elle a donc pour but de sanctionner un manquement fautif du débiteur, en excluant le pouvoir d’appréciation du juge. La condition résolutoire est quant à elle étrangère à l’idée de faute. Elle vise un événement futur et incertain dont la survenance entraîne la résiliation de la convention (article 1168 du code civil). La distinction entre les deux n’est pas toujours évidente.

Les conditions résolutoires, selon lesquelles par exemple la fin du contrat de franchise entraînerait la fin du contrat de bail, resteraient valables. Soulignons cependant que certaines décisions ont considéré que les clauses résolutoires étaient également interdites en ce qu’elles permettraient au bailleur de résilier unilatéralement un contrat de bail, contrevenant ainsi à la durée minimale de 9 ans imposée en matière de baux commerciaux.

Même en l’absence de condition expresse, une juridictions pourrait considéré qu’il existe un lien tel entre deux contrats qu’il existe une condition résolutoire tacite. Dans ce cas, la dissolution d’un contrat entraînerait la dissolution de l’autre.

Il aurait donc a priori été préférable de modifier la loi en ce qui concerne la validité des conditions résolutoires dans un contrat de bail. En effet, la modification introduite laisse subsister la jurisprudence générale relative aux conditions résolutoires dans les contrats de bail.

Par ailleurs, la loi vise les contrats conclus « dans le cadre » d’un contrat de partenariat commercial, mais donc pas nécessairement entre les parties au contrat de partenariat.

 Or, plusieurs hypothèses peuvent se présenter :

  • Il se peut que le franchisé soit lui-même propriétaire du local commercial dans lequel il exerce ses activités ;
  • Il se peut également que le bâtiment appartienne à un tiers indépendant et que le franchisé en soit le locataire en vertu d’un contrat de bail avec ce tiers. ;
  • Enfin, il se peut que le local commercial soit la propriété du franchiseur, ou que celui-ci en soit le locataire principal, et qu’un contrat de location ou de sous-location soit alors conclu entre le franchiseur (bailleur) et le franchisé (locataire). 

Bien que, selon les travaux préparatoires, il semble que seul le dernier cas de figure ait été envisagé par le législateur et que en effet c’est dans ce cas que le franchisé sera le plus dépendant de son franchiseur bailleur, la loi vise donc tous les baux conclus dans le cadre d’un contrat de partenariat commercial.

De même, la loi ne fait pas de distinction entre franchiseur et franchisé, de telle sorte que si, pour quelle que raison que ce soit, le contrat de franchise prend fin, le franchisé sera en principe toujours tenu de respecter son contrat de bail. Si cette conséquence paraît tout à fait logique, elle peut s’avérer extrêmement contraignante pour le locataire ancien franchisé et donc contraire à l’intention du législateur.

Il ne faut en effet pas perdre de vue que la possibilité de pouvoir mettre fin à un contrat de bail en cas de résiliation du contrat de franchise peut aussi être dans l’intérêt du franchisé. Dans ce cas, il me semble que ce dernier pourrait toujours invoquer la condition résolutoire tacite ainsi que la ratio legis de la loi.

Enfin, rappelons que l’hypothèse d’une location gérance est expressément prévue par la loi sur le bail commercial qui prévoit, pour l’indemnité d’éviction, que « lorsque le bailleur est propriétaire du fonds de commerce qui est exploité dans l'immeuble loué et que le bail porte simultanément sur le bien loué et le fonds de commerce, il ne doit pas d'indemnité, à moins que le preneur n'établisse qu'il a augmenté l'importance du fonds de commerce d'au moins 15 p.c. En ce cas, le juge fixe l'indemnité, en équité, selon la plus-value qui en est résultée pour le bailleur » (article 2 in fine).

Il n'en reste pas moins que l'autonomie des contrats de gérance libre est régulièrement rappelée par la jurisprudence. Ces contrats, par lesquels le gérant se voit confier l'administration et la gestion d'un fonds de commerce préexistant, ne tombent pas sous l'application de la loi relative aux baux commerciaux. Il appartient au juge, qui n'est pas tenu par la qualification données par les parties à leur contrat, de tenir compte des éléments qui lui sont soumis.

La loi précise par ailleurs désormais que les clauses « destinant exclusivement les lieux loués à l’exploitation d’une enseigne déterminée » sont réputées non-écrites.

Ici aussi, plusieurs difficultés risquent de se poser.

Tout d’abord, seules les clauses qui destinent exclusivement les lieux loués à l’exploitation d’une enseigne déterminée, c’est-à-dire en pratique l’enseigne du franchiseur X, sont interdites. Par contre, les clauses limitant plus globalement la destination des lieux restent quant à elles valables.

Rappelons en effet que le locataire est tenu d’user la chose louée en bon père de famille et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention (article 1728, 1er du code civil).  Si le preneur emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail (article 1729 du code civil).  

Une clause selon laquelle les lieux loués ne pourraient être destinés qu’à la vente de vêtements de luxe pourrait donc valablement être prévus dans le contrat de bail, à condition de ne pas préciser que seuls les vêtements de luxe de la marque X pourraient y être vendus.

Si le contrat de franchise est rompu, le franchisé sera donc très limité dans les activités qu’il peut exercer. Ceci risque en particulier de poser problème si son contrat de franchise contenait une clause de non-concurrence post-contractuelle.

En effet, au regard du droit de la concurrence (règlement n° 330/2010), une clause de non-concurrence post-contractuelle est généralement autorisée moyennant le respect des conditions suivantes :

  • Elle concerne des biens ou des services en concurrence avec les biens ou les services contractuels ;
  • Elle est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a exercé ses activités pendant la durée du contrat ;
  • Elle est indispensable à la protection d’un savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur ;
  • Elle ne peut excéder un an après l’expiration de l’accord.

Concrètement, le franchisé qui exploitait une franchise de vêtements de luxe de marque X pourrait a priori se voir interdire d’exploiter, pendant un an après la fin de son contrat, des vêtements de luxe concurrents dans les locaux qu’il loue.

Que le franchisé soit locataire ou propriétaire des locaux dans lesquels il exerce ses activités, une telle clause de non-concurrence post-contractuelle risque donc de le mettre dans une situation difficile à la fin de son contrat.

Il en ira d’autant plus ainsi si le franchisé est locataire et qu’une telle clause de non-concurrence est combinée avec une clause qui limite la destination des lieux comme évoqué ci-dessus.

Cécile Staudt, avocate au Barreau de Bruxelles