Covid 19 et contrats de distribution en Belgique
par Cécile Staudt et Patrick Kileste
04-04-2020

Covid 19 et contrats de distribution en Belgique

La crise du covid 19 a des conséquences nombreuses et importantes dans tous les secteurs de notre société.

Nous examinerons ci-dessous la question particulière des contrats de distribution.  Nous n’avons cependant pas la prétention ni d’être exhaustif (de nombreuses questions pouvant encore se poser) ni d’apporter une réponse à toutes les questions (de nombreuses incertitudes subsistant).

  1. Mesures de soutien du SPF Finances[1]

Le gouvernement a adopté diverses mesures afin d’aider les entreprises en difficulté.  Ces mesures s’appliquent à toute personne physique ou morale disposant d’un n° BCE, quel que soit le secteur d’activité.

1°- Mesures générales et automatiques :

Le gouvernement a accordé à toutes les entreprises des délais de paiement complémentaires de deux mois pour la T.V.A., le précompte professionnel, l’impôt des personnes physiques et l’impôt des sociétés.

2°- Mesures individuelles pour les entreprises en difficulté

Les entreprises qui rencontrent des difficultés liées au coronavirus peuvent par ailleurs solliciter des mesures particulières. 

Les difficultés doivent être démontrées par l’entreprise (par exemple, diminution du chiffre d’affaire, etc.) et doivent être liées au coronavirus (les entreprises qui connaissent des problèmes structurels sont exclues de ces mesures de soutien).

Ces mesures concernent le précompte professionnel, la T.V.A., les impôts des personnes physiques, les impôts de sociétés et les impôts des personnes morales. Elles peuvent constituer en un plan de paiement, une exonération des intérêts de retard, ou encore une remise des amendes pour non-paiement.

  1. Questions particulières relatives aux travailleurs[2]

Les entreprises qui emploient des travailleurs peuvent par ailleurs rencontrer des difficultés particulières à cet égard. Plusieurs hypothèses peuvent se présenter :

  • Il se peut que l’activité de l’employeur soit fermée par décision du gouvernement.  Dans ce cas il s’agit d’un cas de « force majeure » suite au « fait du prince » et les travailleurs bénéficieront du chômage pour force majeure. A l’heure actuelle[3], les commerces et les magasins sont fermés, à l'exception :


- des magasins d'alimentation, y compris les magasins de nuit ;

- des magasins d'alimentation pour animaux ;

- des pharmacies ;

- des librairies (magasins de journaux) ;

- des stations-services et fournisseurs de carburants et combustibles;

- des coiffeurs, lesquels ne peuvent recevoir qu'un client à la fois et sur rendez-vous.

 

De même, les établissements relevant des secteurs culturel, festif, récréatif, sportif et horeca sont fermés.

 

  • Il se peut que l’activité de l’employeur soit fortement ralentie. Dans ce cas, l’employeur peut placer des travailleurs en chômage économique. Tel pourrait également être le cas en cas de pénurie de certains matériaux ou de blocage de certains fournisseurs.

 

  • Enfin, il se peut que l’activité de l’entreprise se poursuive.  Dans ce cas, il convient néanmoins de tenir compte des injonctions particulières du gouvernement[4].  L’employeur pourrait alors s’appuyer sur ces injonctions pour imposer le télétravail lorsqu’il est possible.

En ce qui concerne les travailleurs, ceux qui sont couverts par un certificat médical (soit qu’ils sont atteints du covid 19, soit qu’ils en présentent tous les symptômes) sont des travailleurs « malades » qui bénéficient dans un premier temps du salaire garanti et ensuite de l’assurance maladie invalidité.

En ce qui concerne les travailleurs qui n’ont pas de certificat, leur absence est en principe injustifiée, sauf si cette absence intervient avec l’accord de l’employeur par mesure de prudence, auquel cas elle pourrait être considérée comme justifiée. Dans un cas comme dans l’autre, l’employé qui n’est pas couvert par un certificat ne devrait cependant pas être rémunéré, sauf accord de l’employeur.

En ce qui concerne les travailleurs indépendants, une loi du 23 mars 2020 a instauré un droit passerelle en leur faveur[5].

  1. Mesures générales

Parmi les mesures qui existent pour les entreprises en difficulté, rappelons la possibilité de recourir à une procédure en réorganisation judiciaire ou, dans un second temps, à la faillite.

La procédure en réorganisation judicaire permet ainsi aux entreprises en difficulté d’établir un plan au terme duquel elles paient leurs dettes qui peuvent être réduites selon un plan de paiement échelonné.

Pour le surplus, en cas de faillite, un aveu de faillite peut permettre d’effacer purement et simplement les dettes (sauf faute de gestion grave et caractérisée).

Les administrateurs et associés actifs d’une société faillie peuvent par ailleurs échapper aux cautionnements qu’ils auraient donnés pour garantir les crédits bancaires en faisant eux-mêmes aveu de faillite concomitamment à l’aveu de la société ou dans les 6 mois suivants[6].

Par ailleurs, rappelons que les indépendants ont la possibilité de protéger leur logement familial en le rendant insaisissable. Il convient à cet effet d’établir une déclaration d’insaisissabilité auprès d’un notaire. Cette déclaration vaut pour le non-paiement des dettes qui y sont ultérieures.

  1. Exécution des contrats et force majeure

La force majeure, qui n’est pas définie par le code civil, peut être définie comme « un événement à caractère insurmontable et, selon certains, imprévisible, indépendant de toute faute du débiteur, qui empêche ce dernier d’exécuter ses obligations ou de se conformer aux normes exclusives de fautes, tout en restant dans les limites de la diligence que l’on peut attendre de lui »[7].

La force majeure peut recouvrir des éléments très variés et pourrait selon nous s’appliquer à la crise actuelle.

En préambule, soulignons que les parties ont la possibilité de modaliser les conditions et les effets d’un événement de force majeure par le biais de clauses contractuelles. Il conviendra donc toujours d’être attentif aux dispositions contenues dans les contrats conclus entre les parties.

Conditions :

La force majeure doit être un événement imprévisible ou, à tout le moins, inévitable. Il convient à cet effet de se placer au moment de la conclusion du contrat. Si la crise actuelle pourrait être considérée comme imprévisible pour des contrats conclus il y a plusieurs mois, tel ne devrait cependant pas être le cas pour des contrats conclus depuis les premières mesures de lockdown.

L’évènement doit être exempt de toute faute de la part du débiteur. Cette condition ne devrait pas poser de problème en ce qui concerne le Covid-19.

Enfin, la force majeure doit rendre l’exécution du contrat impossible (et non simplement plus difficile). L’obstacle doit donc être insurmontable. La jurisprudence actuelle tend à apprécier cette impossibilité d’exécution de manière raisonnable et humaine. Une distinction devrait être faite entre les différentes situations (en particulier entre les commerces frappés par l’obligation de fermeture et les autres, etc.).

Conséquences :

Lorsque la force majeure est établie, le débiteur est (sauf exceptions) libéré de ses obligations sur lesquels la force majeure a un impact.

Si l’impossibilité d’exécution n’est que temporaire, l’obligation n’est pas éteinte, mais est seulement suspendue et le créancier devra l’exécuter lorsque l’empêchement aura disparu. De même, si l’impossibilité d’exécution n’est que partielle, le créancier pourra exiger l’exécution de la partie des obligations qui sont encore possibles.

Dans le cadre des contrats synallagmatiques, où les parties ont toutes deux des obligations réciproques, la force majeure entraînera en principe la libération de l’autre partie (ce qui entraînera donc la suspension ou la dissolution totale ou partielle du contrat, conformément à la « théorie des risques »).

En matière de bail, qui présente un intérêt pour de très nombreux distributeurs commerciaux, l’impossibilité pour le bailleur de permettre au locataire de jouir des lieux loués conformément au contrat de bail (article 1719 du Code civil) peut donc entraîner la suspension de ses obligations découlant du contrat de bail (en particulier de paiement du loyer conformément à l’article 1728 du Code civil) par le locataire. Cette impossibilité ne devrait a priori concerner que les commerces dont la fermeture est imposée et non pas ceux dont les activités deviendraient simplement beaucoup plus difficiles, pour lesquels l’interdiction de l’abus de droit pourrait cependant trouver à s’appliquer (cfr. ci-dessous).

La théorie des risques est d’ailleurs consacrée à l’article 1722 du Code civil qui prévoit que si la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit et que si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Cette disposition peut également viser une « perte juridique » mais celle-ci doit être définitive, ce qui ne sera vraisemblablement pas le cas dans l’immédiat.

Une exception à cette libération de l’autre partie à un contrat existe cependant dans les contrats translatifs de propriété comme par exemple le contrat de vente où, dans ce cas, c’est le propriétaire qui « supporte la charge des risques » et l’acquéreur devra donc payer le prix convenu, même si la livraison n’est plus possible.

  1. L’imprévision

Selon cette théorie, la révision du contrat serait autorisée en cas de survenance, postérieurement à la conclusion du contrat, de circonstances non imputables à la partie qui s’en prévaut, imprévisible et ayant pour effet le bouleversement de l’économie contractuelle.

Cette théorie pourrait donc a priori trouver particulièrement à s’appliquer dans le cadre de contrats à long terme, dont l’exécution peut être affectée par des événements telles qu’une grave crise économique.

Cette théorie est rejetée en droit belge, la Cour de cassation s’étant expressément prononcée sur la question.

Il n’en reste pas moins que les parties pourraient avoir prévu cette éventualité dans leur contrat, auquel cas elle devront donc renégocier en vertu de cette obligation contractuelle.

  1. Exécution de bonne foi et interdiction de l’abus de droit

De manière générale, conformément à l’article 1134, alinéa 3 du code civil, les contrats doivent être exécutés de bonne foi et que l’abus de droit est interdit.

Même si la pandémie peut être considéré comme un cas de force majeure, les conséquences que les parties en tirent ne pourraient être abusives.

Dans les cas où elle ne peut pas être considérée comme rendant l’exécution du contrat impossible, l’exécution de bonne foi d’un contrat de partenariat commercial pourra imposer aux parties de s’adapter aux circonstances.

La collaboration et le respect mutuel qui doivent être à la base des contrats de partenariat commercial sont d’autant plus importants dans des circonstances comme celles auxquelles nous devons faire face.

Il pourrait être considéré qu’en refusant d’assouplir ou de renégocier les termes d’un contrat dont l’économie a été profondément bouleversée, le créancier commettrait un abus de droit.

Plus concrètement, il nous paraît que la théorie de l’abus de droit pourrait certainement être invoquée contre un franchiseur ou un fabricant qui, dans les circonstances actuelles :

  • se montrerait intransigeant sur les délais de paiement ordinairement vigueur dans les relations contractuelles en refusant l’octroi de termes et délais ;

 

  • ne serait pas également à l’écoute de son distributeur pour examiner avec lui tout autre moyen de faire face à la situation actuelle.

Ce même principe de l’exécution de bonne foi des conventions et interdiction de l’abus de droit pourrait également invoquer par le locataire de locaux professionnels à l’égard des propriétaires qui refuseraient, sans juste motif, des termes et délais, pouvant ainsi mener à la ruine de son locataire.

La sanction de l’abus de droit consistant dans la réduction d’un droit à son usage normal, cette sanction pourrait consister dans une réduction des sommes dues par le distributeur à son cocontractant, par exemple bailleur.

Rappelons du reste que l’article 1244 du Code civil permet au juge, nonobstant toute clause contraire, d’accorder des délais de paiement modérés, eu égard à la situation des parties. La situation actuelle devrait pouvoir justifier de tels délais dans de nombreuses circonstances.

En la matière, tout est toujours question d’appréciation de la part des tribunaux et la situation de l’entreprise qui connaît un ralentissement d’activités n’est évidemment pas la même que celle confrontée à un arrêt quasi-total.

Au-delà de ces principes purement juridiques, espérons que cette crise amène chaque acteur économique à redécouvrir les vertus fondamentales de la bienveillance, de la compréhension et de l’entraide.

 

Patrick Kileste et Cécile Staudt.

 

 

[1] A cet égard O.d’Aout « les mesures de soutien prises par le SPF Finances dans le cadre du coronavirus (covid-19) » B.J.S. 2020/646, p.13 ; F. Ledain, « Coronavirus en belastingsschulden » Fisc.week., 2020/106, n° 420, p.5-6

[2] S. Gilson, « quelques questions de droit du travail en rapport avec l’épidémie de coronavirus « , B.J.S. 2020/646, p.1-2

[3] Arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 23/03/2020.

[4] Arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 23/03/2020 : « Le télétravail à domicile est obligatoire dans toutes les entreprises non essentielles, quelle que soit leur taille, pour tous les membres du personnel dont la fonction s'y prête. Pour les fonctions auxquelles le télétravail à domicile ne peut s'appliquer, les entreprises doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect des règles de distanciation sociale, en particulier le maintien d'une distance d'1,5 mètre entre chaque personne. Cette règle est également d'application pour les transports organisés par l'employeur. Les entreprises non essentielles dans l'impossibilité de respecter les mesures précitées doivent fermer. »

[5] Loi du 23 mars 2020 modifiant la loi du 22 décembre 2016 instaurant un droit passerelle en faveur des travailleurs indépendants et introduisant les mesures temporaires dans le cadre du COVID-19 en faveur des travailleurs indépendants, M.B., 24/03/2020.

[6] A. Zenner, « Crise du covid-19 – propositions », B.J.S. 2020/646, p.11 et 12

[7] F. Glansdorff, « La force majeure », J.T. 2019/18, n° 6772, p.355 à 358.