Peugeot Autriche condamnée pour pratiques abusives vis-à-vis des concessionnaires
par Cécile Staudt et Patrick Kileste
29-05-2020

Peugeot Autriche condamnée pour pratiques abusives vis-à-vis des concessionnaires

En Autriche, le tribunal des ententes de Vienne a rendu le 12 mai 2020, en première instance, une décision très intéressante dans un litige qui opposait un concessionnaire Peugeot à l'importateur général des véhicules Peugeot en Autriche (ci-après « Peugeot »).

Les parties étaient liées par des contrats accordant au concessionnaire le droit (non-exclusif) de distribuer des véhicules neufs et des véhicules utilitaires légers (et accessoires) de la marque Peugeot ainsi que d’assurer le service après-vente sur ces véhicules.

Le concessionnaire se plaignait d’avoir souffert, comme de nombreux autres concessionnaires Peugeot en Autriche et en Europe, d'exigences disproportionnées imposées par Peugeot, de nature à lui causer de graves désavantages économiques et à remettre en cause son indépendance.

Le Tribunal a estimé que Peugeot, qui disposait d’un pouvoir de marché relatif par rapport aux activités des concessionnaires, avait commis des abus et a condamné plusieurs pratiques de Peugeot, tant dans le domaine de la vente que dans celui des activités après-vente.

Tel est le cas, en ce qui concerne la vente de voitures neuves, des pratiques suivantes :

  • forcer économiquement le concessionnaire à participer à des promotions et restreindre ainsi sa liberté de fixer ses prix de vente de façon indépendante pour le client final ;
  • lier le versement de primes au concessionnaire à des enquêtes de satisfaction des clients, le Tribunal soulignant que les résultats sont manipulés et n’ont rien à voir avec une évaluation réelle de la qualité des services du commerçant; Le Tribunal relève encore que les paramètres précis établis par Peugeot obligent les concessionnaires à se comporter envers leurs clients d’une manière différente de ce qu’ils feraient librement ;
  • réduire les marges des concessionnaires s'ils n'atteignent pas des objectifs de vente fixés par Peugeot (et par un expert); Le Tribunal souligne que ces objectifs étaient notoirement exagérés et que le système rendait difficile le calcul par les concessionnaires de risques essentiels;
  • concurrencer les concessionnaires sur le marché du client final en pratiquant, par les concessionnaires qui appartiennent majoritairement à Peugeot, des conditions que les concessionnaires ne peuvent pratiquer.

Dans le cadre des activités après-vente, le Tribunal a condamné le système de contrôle complexe ainsi que des conditions qui rendent le travail économiquement non rentable pour les concessionnaires (non remboursement de l’intégralité des dépenses des concessionnaires pour réaliser les travaux sous garantie, notamment en raison de taux horaires ne correspondant pas à la réalité).

Enfin, de manière plus générale, le Tribunal a condamné le fait pour Peugeot de répercuter sur les concessionnaires les coûts de son système d'évaluation mystère et d'audit de vérification des critères, en les incluant en l’espèce dans le montant forfaitaire réclamé pour les formations.

Par contre, le Tribunal a rejeté les critiques du concessionnaires à l’encontre de certains autres griefs du concessionnaire concernant:

  • les investissements imposés par Peugeot pour assurer l’identité d’entreprise;
  • les prix pratiqués pour les  équipements de test et de diagnostic, ainsi que les frais annuels pour l’accès aux documents techniques ;
  • les pressions économiques sur les concessionnaires pour traiter le moins de travaux possibles de cas de garantie;
  • les formations (pour la vente et l’après-vente) imposées et la mise à charge des concessionnaires des frais de ces formations.

Il est probable que Peugeot interjette appel contre cette décision.

Dans l’intervalle, cette décision fait la lumière sur des pratiques courantes dans le secteur de la distribution automobile où le rapport de force entre le constructeur/importateur et les concessionnaires/réparateurs se détériore de plus en plus au détriment de ces derniers.

En droit belge outre l’interdiction des abus de position dominante, rappelons que le droit belge de la concurrence interdit désormais l’abus de dépendance économique, les dispositions relatives à cette dernière interdiction entrant en vigueur le mois prochain de juin 2020. Sont par ailleurs interdites au titre de pratiques déloyales, les pratiques trompeuses et agressives. Enfin, à côté de ces dispositions particulières, le droit civil interdit quant à lui l’abus de droit et impose aux parties d’exécuter leurs contrats de bonne foi.

Il nous semble que les pratiques évoquées dans cette décision pourraient être condamnées sur la base de ces dispositions. Espérons que la décision autrichienne évoquée ici soit à la base dune prise de conscience et d’une (r)évolution des relations contractuelles entre parties aux contrats de concession automobile vers un meilleur équilibre.

Cécile Staudt & Patrick Kileste,

Avocats KMS Partners