Droit international privé et jurisprudence française: Quelle est la loi applicable à un contrat d’agence commerciale international ?
par Cécile Staudt et Patrick Kileste
18-06-2020

Droit international privé et jurisprudence française: Quelle est la loi applicable à un contrat d’agence commerciale international ?

Dans un arrêt du 13 février 2020 (Paris, pôle 5, chambre 5, 13 février 2020, n° 16/15098, publié en extrait dans la lettre de la Distribution, association de droit et distribution, Montpellier, mars 2020, p. 3 et 4), la cour d’appel de Paris s’est prononcée sur la loi applicable à un contrat international d’agence commerciale.

En l’espèce, une société de droit hongkongais avait confié à une société de droit français la promotion et la commercialisation de ses services en France. Après plusieurs années de collaboration, le commettant avait résilié le contrat. L’agent commercial avait alors introduit une procédure judiciaire, invoquant différents griefs. Parmi les demandes de l’agent, nous évoquerons ici uniquement sa demande condamnation du commettant au paiement d’une indemnité de cessation conformément à la législation française sur la relation d’agence commerciale.

Alors qu’en première instance le tribunal de commerce de Lyon avait fait droit à cette demande et condamné le commettant à payer une indemnité de cessation, la décision a, sur ce point, été réformée en appel.

La question était de savoir s’il convenait en l’espèce d’appliquer les dispositions protectrices prévues en faveur des agents commerciaux en droit français (articles L 134-1 et suivants du code de commerce, transposant la directive européenne 86/653 du 18 décembre 1986) alors que les parties avaient, dans leur contrat, prévu une clause prévoyant l’application de la loi de Hong Kong.

La cour a appliqué la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la représentation, à laquelle la France est partie (contrairement à la Belgique).

Le raisonnement nous paraît cependant pouvoir être appliqué de la même manière dans une hypothèse où le juge saisi appliquerait le Règlement européen Rome I (Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles).

En effet, la convention de La Haye permet aux parties de désigner la loi applicable à leurs relations contractuelles (même s’il s’agit de la loi d’un état non contractant) (article 4). Par ailleurs, la convention permet au juge de donner effet aux dispositions impératives de tout Etat avec lequel la situation présente un lien effectif, si et dans la mesure où, selon le droit de cet Etat, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi désignée par ses règles de conflit (article 16).

Rappelons que le règlement Rome I permet lui aussi aux parties de choisir la loi applicable à leur contrat (article 3), même si la loi désignée n’est pas celle d’un état membre (article 2). Cependant, l’article 9 prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à l’application des lois de police du juge saisi.

De manière générale, la qualification de « loi de police » au sens du droit international fait couler beaucoup d’encre.

En l’espèce, la cour d’appel est a estimé que, si la loi relative aux agents commerciaux, codifiée aux articles L 134-1 et suivants du code de commerce, est une loi protectrice d’ordre public interne, elle ne constitue pas une loi de police applicable dans l’ordre international. La cour d’appel a donc réformé la décision rendue par la première juridiction et refusé à l’agent commercial l’octroi d’une indemnité de rupture.

Cette décision paraît surprenante et semble contraire à la jurisprudence européenne.

Dans son arrêt Unamar (CJUE., 17 octobre 2013, Unamar, J.T., 2014, p.302), la Cour de Justice a rappelé la définition des lois de police comme étant les dispositions dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’état membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national dudit état membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci. La Cour a jugé que l’exception relative à l’existence d’une « loi de police » devait être interprétée de manière stricte.

Cette affaire était cependant particulière dans la mesure où elle « opposait » deux législations nationales issues de la transposition de la directive européenne, à savoir la loi bulgare désignée par les parties, dont l’écartement était demandé au profit de la loi belge du juge saisi.

Dans la décision ici commentée, le litige opposait une loi « européenne » à une loi étrangère.

Or, dans son arrêt Ingmar (CJCE, 9 nov. 2000, Ingmar, C-381/98), la Cour de Justice a énoncé « qu’il est essentiel pour l’ordre juridique communautaire qu’un commettant établi dans un pays tiers, dont l’agent commercial exerce son activité à l’intérieur de la Communauté, ne puisse éluder ces dispositions [de la directive] par le simple jeu d’une clause de choix de loi. La fonction que remplissent les dispositions en cause exige en effet qu’elles trouvent application dès lors que la situation présente un lien étroit avec la Communauté, notamment lorsque l’agent commercial exerce son activité sur le territoire d’un État membre, quelle que soit la loi à laquelle les parties ont entendu soumettre le contrat ».

Dans cet arrêt Ingmar, la Cour avait conclu que « les articles 17 et 18 de la directive, qui garantissent certains droits à l’agent commercial après la cessation du contrat d’agence, doivent trouver application dès lors que l’agent commercial a exercé son activité dans un État membre et alors même que le commettant est établi dans un pays tiers et que, en vertu d’une clause du contrat, ce dernier est régi par la loi de ce pays ».